Le printemps des Millénials

Ce livre m’a été offert il y a quelques mois par un ami, ancien chef scout comme moi, comme antidote à l’inquiétude ambiante.

Gilles Vermot-Desroches a en effet été commissaire général des Scouts et Guides de France, et, à ce titre, a lancé le mouvement Plein Vent, qui avait pour vocation à proposer le scoutisme aux populations défavorisées – parfaitement fidèle en cela à l’intuition de Baden Powell. Sans surprise pour un homme très engagé auprès de la jeunesse, la thèse principal développée dans le livre porte sur la nécessaire confiance à accorder aux générations montantes et de la place qu’il convient de leur accorder.

Un constat alarmant
Gilles Vermot Desroches a occupé plusieurs postes à haute sensibilité politique (SGDF, mais aussi au cabinet du ministère de la ville, et à la date de parution de l’ouvrage, à la tête de la fondation d’entreprise Schneider Electric). La vision qu’il offre est donc fort bien étayée par de nombreuses statistiques, sondages, etc., et corrobore totalement les inquiétudes persistantes que relaient les médias : explosion de la population mondiale, discrédit des grandes utopies qui ont marqué le 20eme siècle, prise en compte de la globalité de notre monde, nouvelles méthodes d’apprentissage, retrouver la nature, produire et consommer « responsable », problématique de l’énergie, les nouveaux visages de la ville, place du travail dans l’existence et la société, avènement des robots.

Au cœur du discours : nos générations doivent admettre leurs difficultés à penser la nouvelle donne, et impliquer beaucoup plus largement les générations montantes, qui sont nées avec et ont parfaitement assimilé ces immenses changements.

De très nombreuses raisons d’espérer
Fort de son expérience, l’auteur souligne des mentalités qui ont grandement évolué, et qui sont prêtes à faire face aux nouveaux défis, des initiatives originales, des avancées qui feront bouger les lignes. La liste en est absolument impressionnante…

Les limites de la démonstration
Autant le constat de l’état du monde est chiffré et donc sans appel sinon sans espoir, autant les pistes évoquées ne me convainquent pas totalement : on voit bien que celles-ci, si elles commencent à être mises en œuvre, sont encore loin d’avoir produit l’effet recherché, ce qui ne permet pas vraiment d’évaluer quel sera leur impact réel.
De plus, la foultitude des exemples cités ne remplace pas une description plus approfondie, ici et là, des expériences les plus fécondes, afin de mieux cerner celles qui mériteraient de faire tache d’huile.
Par ailleurs, l’auteur ne cache pas que ces générations à qui il va confier le témoin ne sont pas, elles non plus, à l’abri des faiblesses (toutes celles qu’induisent écrans et connexions notamment) et des contradictions, et seront comme les précédentes, peu ou prou rattrapées par le principe de réalité (on vise à moins polluer, mais jamais prendre l’avion n’a été aussi tentant…). Il concède brièvement que son ouvrage est d’abord destiné à cette élite, issue en particulier des grandes écoles, qui a très bien intégré ces défis et dispose du bagage intellectuel et de la volonté pour faire bouger les lignes et, si possible, changer le monde.

J’ai retrouvé dans cet ouvrage, au demeurant très honnête intellectuellement, une tendance très nette qui m’avait marqué lors des journées nationales des Scouts (pas encore des Guides) de France (certes il y a bientôt trente ans)*: celle qui consiste à beaucoup miser sur le verbe et l’incantation pour mobiliser les troupes. Chaque chapitre se clôt sur un envoi, sorte d’apostrophe à la jeunesse, sans doute supposé la dynamiser. Le procédé ressortit un peu trop à mon goût à un volontarisme politique dont toute l’histoire nous a montré les limites, notamment en démocratie. Il est à cet égard significatif que l’auteur se réjouisse en 2018 de l’élection récente du plus jeune président de la République depuis des décennies. Je ne suis pas sûr que le bilan de celui-ci en 2022 constitue la véritable démonstration que la seule jeunesse changera le pays pour le meilleur…

On ne s’attardera pas non plus sur le fait que sont passés sur l’ouvrage la crise de la CoVid, la guerre en Ukraine, quelques grosses canicules et le retour de l’inflation. Notre monde est à la fois très fragile et très résilient… Mais les ombres au tableau se multiplient.
Enfin, les Scouts et Guides de France sont un mouvement d’Eglise. On aurait pu s’attendre à ce que Gilles Vermot Desroches, au delà du constat et des perspectives techniques et humanistes, nous dise deux mots de sa foi (je ne vois pas qu’un commissaire général agnostique eût été nommé… quand même !). Mais il ne fallait sans doute pas mélanger les genres…

*je garde en particulier le souvenir de très longs discours, très loin de la réalité du terrain sur lequel nous nous mouvions au sein des unités (avec une intervention de Michelle Alliot-Marie, alors ministre de la jeunesse et des sports, qui n’avait presque rien à voir avec le scoutisme, mais faisait le bilan de l’action du gouvernement…). Les SGDF ne sont visiblement pas sortis de cette très ancienne tension qui consiste à vivre dans le monde d’aujourd’hui, accompagner le changement, jouir d’une visibilité politique en tant que principal mouvement de jeunesse, sans se faire leurrer par l’air du temps et en restant fidèle à son appartenance à l’Eglise (Baden Powell tenait pour consubstantiel au scoutisme la foi en Dieu).

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