Après une mission en Irak, notre ancien au aumônier, le père Yves-Marie Clochard Bossuet, partage avec nous son expérience vécue dans le cadre de sa nouvelle charge en Arménie.
Ça y est ! Enfin l’Arménie. J’ai mis du temps à envoyer des nouvelles mais pétrifié par le froid, il m’a fallu 8 jours pour reprendre mes esprits, de -2° à Erevan à -10° à Spitak ma destination finale, le choc thermique a été rude. À Bagdad je rêvais de Pôle Nord, je ne savais pas ce que je disais, la Providence m’a pris au mot. Qui a parlé de réchauffement climatique ?
Mes neurones commençant à se dégeler, je me risque à envoyer quelques nouvelles.
Tout d’abord un grand merci à tous ceux d’entre vous qui m’ont envoyé des messages de sympathie, d’encouragement et de vœux avant, après ou pendant mon passage à Paris : famille, paroissiens, amis, confrères… que Dieu vous bénisse pour votre soutien et vos prières.
Première étape de trois jours à Erevan, la capitale ; reçu par l’administrateur apostolique de l’Église arménienne catholique (qui n’est pas ou pas encore évêque et qui n’est pas non plus l’évêque latin dont je dépends, qui lui réside en Géorgie, vous suivez ?) La capitale sous la neige, malgré le brouillard, laisse entrevoir de belles avenues entre style haussmannien et ex-soviétique avec ce qu’il faut de boutiques occidentales. Très bon accueil des prêtres.
Puis je suis invité à partir pour ma deuxième étape Gyumri, seconde ville du pays, au nord d’Erevan. Violemment touchée par le tremblement de terre de 1988, la ville ne peut pas cacher, malgré les destructions, son passé soviétique. Je m’enfonce dans la neige et le brouillard. Gyumri est le siège de l’église catholique arménienne. Trois jours pour découvrir un peu plus les arméniens décidément très accueillants. Marcher dans les rues verglacées est un challenge que j’ai pu réussir sans trop de dégâts. Enfin départ, en taxi toujours, pour l’étape finale, Spitak, épicentre du tremblement de terre. La ville a été détruite à 90% ! A 6 km de Spitak je découvre le couvent des sœurs. Le paysage et la température ne me laissent aucune illusion, je suis aux avant-postes de la Sibérie. Le couvent est dans un bâtiment, genre préfabriqué, tout en longueur posé à côté de la route nationale qui conduit à la capitale géorgienne, Tbilissi à 200 km d’ici donc route assez fréquentée. On trouve derrière le couvent une cité de petites maisons reconstruites à la va-vite qui abrite une cinquantaine de familles. Une couche de 1 m de neige recouvre le tout. Brouillard, neige, – 10°. Encore dans le taxi, je pense qu’avec l’aide de la Providence, je pourrai tenir trois jours dans ce décor de camp soviétique mais guère plus… Je regarde partir le taxi avec nostalgie, dernier lien avec le « monde civilisé ».
Passé le sas du couvent, l’atmosphère change du tout au tout, d’abord il fait chaud, ce qui me laisse espérer que ma chambre le sera aussi, rien de tel pour me remonter le moral, cela n’avait pas été le cas ni à Erevan ni à Gyumri où je me suis réfugié le plus longtemps possible dans les cuisines. Puis accueil très chaleureux des sœurs et enfin de leurs pensionnaires. Cinq sœurs recueillent 25 garçons et filles de 20 à 30 ans en grande majorité trisomiques. Beaucoup de joie, de chaleur humaine à l’intérieur de la maison. À l’extérieur le soleil s’est mis de la partie laissant apercevoir un décor de montagnes somptueux qui me laisse imaginer quelques promenades enchantées. Le moral remonte à grande vitesse. Chez les sœurs de Mère Teresa on ne laisse pas trop de temps aux rêveries, je suis invité illico presto à célébrer la Messe. Une Messe servie par deux enfants de chœur qui à eux seuls valent le déplacement en Arménie. Un mélange de grande piété, de sérieux et de fantaisie dont les trisomiques ont le secret n’hésitant pas, imperturbables, à me reprendre quand je ne faisais pas les gestes ou les réponses qu’il fallait. Leur amour de Jésus transparaît tellement dans leur attitude qu’à la fin de la messe je savais que je resterais plus de trois jours à Spitak…
Pourtant la sœur à qui je faisais part de ma joie de cette première messe et de me promener en montagne tempère mon enthousiasme : « Oui Père mais il faut faire attention aux loups et aux ours ! » Ne sachant pas trop pour le moment ce que veut dire « faire attention aux ours et aux loups » je me cantonne à faire le tour de la maison en m’assurant que la porte est bien ouverte pour un retour en catastrophe. Pas de chance pour moi, à Bagdad j’avais les snipers, ici les ours… Demain je pars pour trois jours à Tbilissi me présenter à l’évêque latin, j’espère pouvoir m’y promener sans snipers ni ours !
Quelques chiffres à propos de l’Arménie : superficie 30 000 km2, 2 500 000 hab. (mais 15 millions dans la diaspora) ce qui en fait l’équivalent, en population et en superficie, de la Bretagne. Tout petit pays réduit à la portion congrue, étonnant quand on sait la notoriété de ce peuple et la complexité de son histoire, une histoire qui les a autant malmenés que celle des juifs. À ce propos on dit ici que la diaspora juive est installée partout dans le monde sauf en Arménie où il n’y a jamais eu un seul juif parce que pour les affaires financières et commerciales un Arménien vaut deux juifs… Par contre, les Arméniens sont chez eux en Israël.
Les Arméniens se targuent, sans doute à raison, d’être la première nation chrétienne, l’Église y aurait été fondée en 305. 95% des Arméniens sont chrétiens dont 10% de catholiques. Les chrétiens non catholiques sont largement majoritaires et appartiennent à l’Église Apostolique d’Arménie, une église totalement indépendante des patriarcats orthodoxes (Istanbul ou Moscou). Elle élit son propre « pape », appelé le Catholicos.
La suite au prochain numéro, si Dieu veut.
Amitiés In Christo à tous.