Un aumônier militaire en gestion de crise…
Ce mardi 10 mars, au rapport base, le commandant demande aux chefs de services de prendre des dispositions personnelles, familiales et professionnelles en vue d’une crise sanitaire longue. Le ton du commandant de la Base est grave et nous pressentons tous une gravité de situation présente et à venir même si nous sommes encore dans une communication médiatique de « gestes barrières ».
Afin de me placer rapidement en posture opérationnelle, courses et coiffeurs pour ma famille et moi-même seront au programme dans les heures qui suivront cette recommandation. Sur ma tenue treillis, au niveau de l’épaule est cousue l’écusson Notre Dame des Ailes.
De par mes fonctions d’aumônier de la Zone de Défense Sud Ouest, il me faut rapidement mettre en œuvre le soutien moral et spirituel pendant cette crise sanitaire. Dès l’annonce du confinement, je téléphone aux 21 aumôniers militaires catholiques de la région. Abasourdis et sidérés par les annonces de confinement, ils semblent tiraillés entre l’obéissance aux injonctions des autorités militaires (rentrer et rester chez vous) et leur volonté de servir. Un courriel leur est adressé la première semaine pour leur demander de se maintenir en posture opérationnelle à l’égard du commandement (disponibles et joignables) tout en se préservant physiquement dans la prise en compte des règles de confinement. Je les encourage aussi à faire preuve de créativité à l’égard des militaires et des familles demandeurs en besoins spirituels par l’usage des réseaux internet pour les activités pastorales.
A l’Etat-major de la ZDS SO, avec les aumôniers des autres cultes nous décidons de nous organiser. Nous mettons en place, dès les premiers jours du confinement, une permanence téléphonique afin d’offrir, pendant la crise COVID 19, une écoute et un soutien. Diffusion sera faite dans tous les services. Nous établissons le contact avec l’HIA Robert Picqué pour offrir notre disponibilité de soutien auprès des familles et des personnels hospitaliers. Les directions d’aumôneries communiquent de manière différenciée. Alors que la direction de l’aumônerie militaire catholique transfère la communication de la Conférence des Evêques de France au sujet de l’arrêt des cultes ou, demande aux aumôniers de profiter de ce temps de confinement pour mettre à jour leurs dossiers administratifs, la direction de l’aumônerie militaire musulmane se place dès le départ en mode « gestion de crise ». Avec l’aumônier Zone de Défense protestant et israélite, nous décidons d’adopter cette dernière posture. Nous réaliserons plus tard dans la phase des retex ( retour d’expérience) que nous serons la seule zone de Défense à avoir fonctionné ensemble et unis en mode « gestion de crise ».
Lorsque l’Opération Résilience est mise en place, nous sommes dans le même état d’esprit à savoir offrir un soutien si nécessaire à la population. Aux Instances de Concertation Militaire, je rédige un argumentaire afin de préciser la contribution possible des aumôniers dans une phase de crise et l’importance de les intégrer dans l’Opération Résilience. Un des conseils de la Fonction Militaire (le CFMSCA) transmettra en réunion interministérielle cette proposition. Quelques jours plus tard, une note de l’EMA, signée du Major Général CASABIANCA citera le rôle des aumôniers militaires dans l’organisation du soutien psychologique, moral et spirituel pendant la crise COVID en invitant le commandement à faire appel à eux au mettre titre que les psychologues ou assistantes sociales.
Les semaines suivantes sont marquées par les fêtes liturgiques pour de nombreux croyants : Pessah, Pâques, Ramadan. Au niveau zonal, les aumôniers militaires catholiques, israélites, musulmans, protestants feront de leur possible pour assurer, à distance, un lien spirituel et religieux avec leur communauté respective. Chacun à chercher à proposer des rituels pour alléger l’épreuve du confinement. En plus de la crise COVID 19, notre région subira deux accidents dramatiques d’aéronefs ( 5ème RHC et Cazaux) provoquant la mort de 4 militaires. Le fait que les aumôniers aient décidé de ne pas s’éloigner de leur lieu de mission facilitera leur disponibilité et la mise en œuvre de leur soutien au profit des familles et des militaires endeuillés par ces drames.
Progressivement, s’installera au cours des semaines de confinement un rythme en continuité de soutien que ce soit par la permanence téléphonique, par le lien maintenu avec tous les aumôniers de la région et la communauté de croyants. La fin du confinement et la reprise progressive d’une activité à la normale, offrira à tous un grand soulagement mais aussi une bonne fatigue subie par la tension permanente d’une posture opérationnelle en phase pandémie.
Etonnamment, cette expérience du COVID 19 aura, pour la première fois, positionnée clairement les rôles et missions des aumôneries militaires dans une crise sanitaire. Conseils au commandements, vecteur de sens au service d’une communauté humaine singulière, les militaires et leurs familles ; les aumôniers militaires ont dû s’adapter dans un contexte particulier (mesures de confinement, distanciation physique) et demeurer au contact des personnels que ce soit :
- Vis-à-vis du commandement dans une disponibilité et un travail en proximité avec les différents échelons militaires ( zonal, local etc…).
- Vis-à-vis des militaires et des personnels civils du ministère des armées, par l’écoute, l’aide à la gestion des inquiétudes des familles, des parents âgés en prenant naturellement en compte la situation particulière d’un militaire en Opex.
- Vis-à-vis des familles confrontées à des difficultés (maladie, violences, décès), en orientant l’aide possible vers les services compétents.
- Vis-à-vis des malades et des personnels des hôpitaux militaires, en répondant aux demandes de soutien moral et spirituel.
Parce que très souvent « on nous enseigne des certitudes mais jamais l’incertitude fondamentale » ( Edgar MORIN) ; la crise nous a tous déstabilisés. Comme tous, l’aumônier militaire a traversé la sidération, la peur, la plongée dans l’incertitude. Si au niveau de la région de Bordeaux, il nous a été possible d’affronter cette crise, c’est grâce à l’unité et la cohésion entre aumôniers de Zone de Défense. Ensemble dans le soutien moral et spirituel, catholiques, israélites, musulmans, protestants nous avons fait de notre possible pour répondre au mieux à notre mission. Bien sûr, des axes d’amélioration sont à explorer pour renforcer l’offre de soutien des aumôneries militaires en cas de crise. Notre volonté est de mieux nous préparer, nous former à la « gestion de crises », apprendre ainsi à gérer l’imprévisible et être en capacité décisionnelle quel que soit notre engagement. Ce sera pour chacun de nous la possibilité de mettre en œuvre notre culture de la résilience et notre espérance.
Sandrine GALVEZ