Le billet d’André Garnier….

Le billet d’André Garnier, président NDA

A la mémoire de mon père, Michel Garnier, observateur sur T-6 en Algérie, puis pilote de réserve sur estafette, et de François-Xavier Boch, navigateur officier système d’armes (NOSA) sur Mirage 2000D. Et de tous les navigateurs qui m’ont fait confiance un jour…
Les navs, vrais fils de Dieu ?


Un NOSA arrive au paradis et se présente devant Saint Pierre : “Saint Pierre, s’il-te-plaît, dans mon paradis, je préférerais qu’il n’y ait pas de pilote…


“Ton souhait sera exaucé, mon garçon !” 


Mais un jour, dans ce paradis merveilleux, le navigateur croise un curieux personnage : avec sa combinaison de vol, son pantalon anti-g, son casque de vol à la main et, surtout, sa belle gueule, pas de doute, c’est un pilote. Le navigateur se précipite chez Saint Pierre : “J’ai croisé un pilote dans mon paradis !”. Saint Pierre réfléchit, puis son visage s’éclaire : “Ce n’est pas un pilote, c’est le Bon Dieu : il se prend pour un pilote !”.
Cela fait bien longtemps que l’aviation civile s’est séparée de cette catégorie de navigants techniques, les navigateurs. Les mécanos navigants leur ont survécu plus longtemps, mais les armées n’ont pas renoncé à mettre dans leurs avions ces deux spécialités : quand les choses deviennent un peu compliquées, on est bien contents d’être au moins deux, et de pouvoir compter, non sur un alter ego qui va critiquer ce que vous faites, mais sur un collègue qui connaît bien, voire bien mieux, cette partie du métier qui n’est pas votre tasse de thé, et qui va vous en décharger. Dans l’aviation civile, l’officier pilote remplit ce rôle, avec, à l’occasion, quelques confusions…


Revenons aux navigateurs : historiquement, dans les armées, ils ont été les premiers commandants de bord. Les pilotes étaient ces artistes un peu dérangés, qui prétendaient faire voler de leurs mains ces machines très fragiles et fort peu fiables et y prenaient manifestement du plaisir, là où les exigences du service imposaient un peu de sérieux pour l’accomplissement de La Mission. Et puis, l’on s’est avisé que ces fous de pilotes avaient du talent, et on leur a confié à eux tout seuls toutes sortes de missions : on a réinventé le monoplace (moins coûteux que le multiplace). Et le pilote est devenu dieu…


Quel petit garçon n’a pas rêvé un jour de devenir, comme Icare, ce dieu qui s’élève au dessus des hommes et n’a de compte à rendre à personne ? Dans un monoplace, on fait tout tout seul, on apprend à agir vite, avec précision et un discernement fulgurant. Certes, on vous adjoint bien vite des équipiers qui ne vont pas manquer de deviner quelques faiblesses. Mais quoi de pire que de vous coller en place arrière un navigateur, à même pas un mètre, alors qu’on y arrivait très bien tout seul jusque-là ? Quand mon tour est arrivé, je n’ai pas pu m’empêcher de l’assimiler à un singe. Ce soir-là, au téléphone, j’ai blessé mon père pour la vie…
Et j’ai appris à connaître les navigateurs. Quelle chance !


Un navigateur, dans les armées, c’est un pilote “burné” : contrairement à l’OPL, il ne deviendra jamais pilote (dans les armées du moins – dans le civil, certains se révèlent). Inutile de préciser que la hiérarchie est ensuite toute trouvée, avec en toile de fond quelques complexes. Et pourtant : les bougres ont du talent. Un navigateur chef de patrouille ou commandant de bord ? Ça se tient. A force de voler avec vous et vos comparses, ils vous connaissent par cœur. Ils savent que vous tenez leur vie entre leur main, et que vous avez des qualités qu’ils n’ont pas, puisque vous avez réussi là où ils ont échoué (encore qu’avec les aléas du recrutement, de la sélection et de la formation, ça reste parfois à démontrer). Ils vous font confiance, non parce qu’ils vous ont choisi, mais parce qu’ils n’ont pas le choix. Ils ont ce côté léger et insouciant de ceux qui ont accepté de remettre leur destin. Mais comme tous les vrais aviateurs, ils mesurent leur chance de voler dans un avion, ont à cœur de bien faire leur métier, et le font bien.

Pour réaliser la mission, ils ont besoin de vous, et rapidement, vous comprenez que, si vous pouvez grosso modo la faire sans eux, en travaillant avec eux, vous allez faire du bien meilleur boulot. Et quand ils vous auront sorti une fois, deux fois… de la panade où vous vous étiez fourré tout seul, vous aurez appris l’humilité et le travail en équipage – quel plus beau cadeau ? Bâtir la confiance, faire en sorte que 1+1>2… Vous les prenez en estime, vous devenez responsable, ils sont insouciants, vous devenez plus grave, tous ont grandi. Une véritable équipe d’apôtres.


Oui, dans cet abandon au talent du pilote (savoir “branler” un manche – pardon, Mesdames ! Enfin, peut-être un peu plus…), les navigateurs m’ont sans doute aussi appris à m’en remettre au Très Haut, à faire confiance, à lâcher prise quand les événements me dépassent. Encore récemment, j’ai été très favorablement impressionné par la capacité du Bon Dieu à réussir des atterrissages qui s’annonçaient un peu scabreux, et, bien au delà, à débrouiller nombre de situations en apparence inextricables… 


Seigneur, je sais ce que je te dois (enfin, non, je crois que je n’arriverai jamais à l’imaginer).
Je sais aussi ce que je dois à mes frères navigateurs qui, quelque part, m’ont montré le chemin.


André Garnier, président

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