La charité n’a plus le vent en poupe

Comme tous les mots, le mot « charité » s’est usé.

 

Il est devenu si peu attirant que beaucoup d’associations catholiques préfèrent « solidarité » ou « entraide » ou quelque autre mot plus récent et de meilleure réputation. « Faire la charité » serait plus ou moins du pharisaïsme, soulager sa conscience à pas cher. C’est bien dommage. Car la charité est l’amour et de l’amour, la forme la plus haute. Nous savons bien que Jésus ne nous demande que de croire et d’aimer. Mais « amour » est un mot piégé car il désigne aussi bien la captation que le don. Ainsi, nous nommons « amour » le fait de vouloir nous approprier quelque chose et surtout quelqu’un. Prenons un exemple enfantin : j’aime cette petite voiture, je la convoite dans la vitrine, je veux ardemment l’avoir (et je tanne mes parents pendant des jours). Prenons maintenant un exemple adulte : j’aime cette personne, je la désire mienne, au point qu’il m’arrive souvent de ne voir en elle que ce qui me comble et d’être aveugle à ce qu’elle est vraiment et à ce qu’elle désire. Cette forme d’amour est toute naturelle. Elle existe depuis que l’homme existe. Mais ce n’est pas ce à quoi appelle Jésus. Pour lui, l’amour consiste à donner et à se donner. Sans attendre de retour. L’amour ne prend pas. Il ne force pas. Il ne paye pas. Il a les mains ouvertes.
Cet amour tout de générosité, l’Évangile le nomme « charité ». L’Évangile étant écrit en grec, le mot grec est agapè. La charité est le regard généreux qui aime autrui pour ce qu’il est (et non pour moi), la parole généreuse qui libère et fait grandir, le geste généreux parce que gratuit, vraiment gratuit. De cet amour Jésus nous a donné le modèle à Pâques. Il a donné sa vie pour nous sauver. Sa vie à lui pour nous sauver nous. C’était donc qu’il nous aimait assez pour que sa vie ne compte plus.
Il est impossible à l’homme de faire de lui-même un geste entièrement gratuit en faveur d’autrui. Consciemment ou non, nous attendons toujours quelque retour— le sentiment du devoir accompli, de la gratitude, un échange de services. Nous attendons toujours d’être aimé…Image
C’est Dieu qui, par l’Esprit saint, transforme peu à peu notre amour possessif, jaloux, notre amour intéressé en amour désintéressé ; en amour plus profond et plus vrai ; en charité.
Toute la vie morale consiste à passer de l’un à l’autre. Et il y faut au moins le temps d’une vie. Sur ce chemin celui qui aime par excellence, celui qui a donné sa vie sans retour, Jésus nous accompagne.

Frère Yves Combeau, dominicain
Le Bulletin n° 223 Le Jour du Seigneur Avril Mai 2021 page 12

 

Yves Combeau

« Avec l’aimable autorisation de Fr.Y.Combeau, o.p. Le jour du seigneur »

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