A sa création et jusque dans les années 70, l’Association Notre-Dame des Ailes baignait dans un monde où la foi était partout présente, croire en Dieu ou être convaincu qu’il n’existe pas en était les deux versions antagonistes. Ces engagements très majoritaires reflétaient la question que les hommes se posaient sur le sens de la vie. Etre agnostique procédait également d’un choix : celui de ne pas s’engager pour être incapable de certitude.
A partir des années 2000, il devint patent que ce monde était révolu et l’Association a eu l’intuition de la nécessité de s’adresser à la famille aéronautique dans sa totale diversité et non plus seulement à ses membres croyants. A l’observer, écouter les témoignages des uns et des autres, à vivre les évènements bouleversants que traverse notre société, nous la trouvons beaucoup plus préoccupée par ses manques que confiant dans ses atouts.Elle se situe aujourd’hui dans la situation du fils prodigue de l’Evangile quand il a dilapidé tout son héritage et que viennent les heures sombres où bientôt il regrette le bon temps qu’il vivait avec son père. A ce stade et pour mieux saisir les enjeux et les défis de la mission de Notre-Dame des Ailes, comme de toute la communauté chrétienne, il nous paraît important de mieux analyser cet héritage.
Quel l’héritage a-t-il été légué à l’enfant prodigue d’aujourd’hui ? Réponse : son humanité à l’image de Dieu. Même si un des deux tableaux de la Genèse est d’une remarquable pertinence dans le déroulement chronologique de la création de l’univers connu, la Genèse présente l’homme accompli au moment de sa création sur la terre. Nous savons que depuis qu’il a quitté le paradis terrestre et qu’il gagne son pain à la sueur de son front, l’homme n’a en réalité pas arrêté de progresser dans la connaissance de ce qu’il est. Ceci lui a permis de s’affranchir d’un certain nombre de croyances et de lois régentant sa vie et contraignant son épanouissement. Quel « élément » lui a-t-il permis de se rendre ainsi libre ? La meilleure réponse nous semble être à prime abord sa foi. Sa foi en un créateur puis sa confiance en lui-même au fur et à mesure qu’il se libère de contraintes ou de peurs infondées et qu’il réponde ainsi au projet que Dieu a conçu pour lui.
Souvenons-nous des premiers pas de l’humanité. Amadouer le dieu créateur imposait à l’homme de lui offrir les premiers fruits de chaque génération, en termes de récolte, en termes de bétail et même de premier-né mâle de sa propre descendance. Le sacrifice d’Isaac rentrait dans cette logique du croyant. Ce fut le premier degré de libération que Dieu accorda aux hommes, ne plus lui être redevable de sacrifice humain. Puis vient la loi du Talion qui humanisa l’homme en lui interdisant de répondre au mal par un mal plus grand encore comme c’était la coutume et ce à quoi l’homme est toujours tenté (cf. le comportement d’une fratrie de jeunes enfants). Jusqu’à la Bonne Nouvelle qui dépasse l’entendement, en instituant le pardon, en invitant à la réconciliation et à vivre en vérité. Cette dimension spirituelle s’est avérée tellement prégnante qu’elle est devenue notre culture au point de laisser penser à l’homme que sa sagesse pouvait lui être immanente à l’instar de Socrate. L’humanisme devint ainsi une conquête de l’homme dans le processus de son hominisation. Capable de penser par lui-même sans avoir besoin de se référer à un maître, c’est ce qu’a découvert Descartes, anoblissant ainsi l’homme et le rendant plus conforme au projet de Dieu qui l’a souhaité libre dès l’origine.
Pourtant Rousseau constate que l’homme socialisé n’est pas bon, est-ce l’échec de son propre rôle de père qui l’a incité à réfléchir au retour à la nature originelle dont l’enfant paraît le plus pur symbole. Sans doute était-il également imprégné des paroles de Jésus. (Matthieu 18.1. A ce moment même, les disciples vinrent demander à Jésus : Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux ? Il appela un enfant, le plaça au milieu d’eux trois et dit : Amen, je vous le dis, si vous ne retournez pas à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux.)
Tolérance et liberté de pensée ont éclairé le siècle des lumières en opposition avec l’institution religieuse qu’on accuse d’avoir rigidifier la Bonne Nouvelle en loi contraignante. Depuis, l’incapacité de ceux qui ont bénéficié d’un pouvoir particulier, qu’ils soit dans l’économie, la politique, ou autres … à se mettre au service des plus faibles a invité ces derniers à se liguer pour revendiquer l’égalité des droits. Un précepte d’évangile non respecté est l’occasion de justifier la lutte des classes sur des critères économiques pour Marx et culturels pour Bourdieu nous dit François-Xavier Bellamy.
Trois cheminements différents inspirés, c’est une certitude historique, par la religion chrétienne aboutissent au même résultat qui empreint désormais notre pensée. Je suis assez grand pour juger par moi-même, ma bonté naturelle est polluée par tous les artifices que l’homme invente et me transmet. La culture, richesse immatérielle, tout comme la richesse matérielle, est discriminatoire et donc contre l’égalité des hommes.
Trois conclusions propres qui conduisent à une même idéologie, il faut cesser de transmettre l’héritage culturel parce qu’il nous formate, parce qu’il nous dévoie, parce qu’il est discriminatoire. Nos gouvernants depuis quelques décennies ont laissé faire le système de l’éducation nationale qui s’est auto-alimenté dans cette pensée depuis mai 68, voire ont adhéré à cet enjeu. Ils ont fait en sorte que l’école permette désormais à l’enfant de se révéler tout seul à lui-même. Outre la catastrophe scolaire dont témoignent les classements internationaux, le corollaire est la perte de la transmission de la foi. Il ne s’agit pas là du succès du mouvement anticlérical qui existe depuis la moitié du XIXème, mais d’une vague d’indifférence sans précédent à tout ce qui touche au questionnement spirituel.
Quel processus s’opère-t-il à l’école? Rendre les enfants critiques à l’égard de tout, en particulier des parents qu’on écarte soigneusement de la boucle éducative car ils formatent leurs enfants. Permettre aux enfants de découvrir tout seuls le fonctionnement de l’univers en ne les intéressant qu’au comment et en retirant des programmes scolaires tout auteur susceptible de poser la question du pourquoi, comme ce fut le cas des Fleurs du mal de Baudelaire qui paraissent pourtant sulfureuses pour un certaine frange de chrétiens. Saturés de comment, nos enfants et petits enfants pour les plus anciens ne s’interrogent plus que sur le pourquoi faire en termes d’utilité ou pas! Ce que nous vivons n’est pas du à un laxisme parasite et à un laisser aller de l’homme comme on serait tenté de le penser et qu’il suffirait de secouer, mais ces phénomènes sont des virus inhérents à l’héritage lui-même et qui s’en trouve malade pour ne pas dire agonisant.
Voilà pourquoi et comment l’héritage est dilapidé. Pour revenir à l’Evangile, je crains une autre suite à l’histoire de l’enfant prodigue, et je trouve très optimiste l’humilité du fils prodigue qui accepte de lui-même de revenir vers son père comme serviteur. C’est n’est pas dans l’ère du temps, ni dans la nature de peu d’hommes d’être si docile ou de se tourner vers celui dont il est débiteur quand il se trouve dans une situation de détresse où sa responsabilité lui saute à la figure. Cela conduit à la dépression qui l’enferme dans son isolement jusqu’au suicide, celui de Judas étant l’exemple évangélique vécu qui dépasse la parabole.
Le rayonnement et l’exemple personnel de chacun ses membres de Notre-Dame des Ailes a vocation à contribuer à faire sortir de leur enfermement ceux qui en ont besoin pour leur faire découvrir l’Espérance.