yves de Brunhoff, diacre permanent, responsable de l’aumônerie catholique sur les aéroports de Roissy-CDG et du Bourget

Notes sur le voyage  en Jordanie organisé par l’aumônerie    inter religieuse des aéroports parisiens du 7 au 14 mars

Nous avons fait  un très beau voyage  en  Jordanie entre le 7 et le 14 mars dernier ! Il était organisé par les aumôniers catholiques, musulmans, protestants et israélites des Aéroports parisiens.  L’aumônerie inter religieuse des aéroports  voulait prendre une initiative culturelle, spirituelle et fraternelle !  Sous la houlette de notre collègue aumônier musulman, le professeur d’université Hazem El Shafei, grand spécialiste du Moyen Orient et amoureux de la Jordanie,   la  communauté aéroportuaire et ses amis ne pouvaient pas être mieux aidés pour appréhender  l’univers Hachémite dont les origines sont vieilles de quelques 5000 ans !

La Jordanie actuelle est relativement récente, puisqu’elle  fut créée en 1922, après  la révolte des tribus arabes contre les Ottomans et après des arrangements facilités par  les anglais (cf. Laurence d’Arabie). Le Royaume   est devenu parfaitement indépendant après la Deuxième Guerre Mondiale et demeure depuis lors  un pays stable au Moyen Orient, hormis la Guerre des Six Jours en 1967 (où elle perdit la Cisjordanie et la partie est de Jérusalem)  et la période de violences terroristes en 1970 avec Septembre Noir. La sagesse traditionnelle des souverains est reconnue comme un important facteur de paix dans une région où les crises et les souffrances ne cessent depuis longtemps. Une large partie de la population d’origine arabe et   bédouine vient  de l’immigration palestinienne progressive.  Nous avons eu plaisir à rencontrer une population bien accueillante.

Après avoir été dominée par de grandes civilisations voisines l’antique territoire de Jordanie a  Israël à ses côtés, une fois le peuple hébreu revenu d’Egypte.    L’Ecriture Sainte  relate dans nombre de ses livres les relations violentes ou pacifiques entre ces populations.  Les grecs et les égyptiens y furent très présents. Rome prit le dessus pour faire  de la Jordanie une province, dont Djérash (Gérasa) faisait partie comme ville de la célèbre Décapole citée dans les Evangiles.

Très tôt la Jordanie fut  une terre d’accueil des premiers chrétiens persécutés. Les moines y trouvèrent un lieu pour y vivre. Plusieurs évêchés furent crées dans la région, qui eurent leurs délégués au fameux Concile de Nicée en 321 après que l’Empereur Constantin ait mis fin aux terribles persécutions  menées pas certains de ses prédécesseurs.

A la présence chrétienne byzantine succéda  la présence musulmane avec la  dynastie  Omeyyade entre le 7ème et le 8ème siècle. La Jordanie demeura toujours  une terre de passage naturel pour les pèlerinages à la Mecque et Médine.

Durant le temps des Croisades les chrétiens occidentaux reprirent le contrôle de ces territoires pour assurer la protection des Lieux Saints où était  le tombeau du Christ.  Ils  durent battre retraite après environ 200 ans de présence. Quelque temps plus tard, après de nouvelles dominations, les turcs musulmans Ottomans  s’emparèrent de la région en 1516 pour dominer jusqu’à la guerre d’indépendance pendant la Première Guerre Mondiale.  En 1922 naissait la Jordanie actuelle.

Nous sommes donc entrés sur une terre extrêmement riche en histoire depuis des milliers d’années, où plusieurs vestiges, notamment architecturaux, nous ont permis de   visiter de grands  pans de l’histoire et de la vie des trois grandes religions monothéistes. Nous étions ainsi au cœur de notre voyage  !

Ce fut beaucoup plus qu’un voyage de tourisme, ce fut un voyage d’études compte tenu de la qualité des interventions de notre collègue Hazem.  Notre aumônerie inter religieuse des aéroports parisiens travaille depuis toujours dans une très bonne entente  et une collaboration effective ; cette entente a ainsi permis  une telle initiative, avec le concours bienveillant de la Direction des aéroports parisiens, pour mettre en commun nos richesses humaines, culturelles et spirituelles.

Nous avons été comblés  tous les jours !  Dans  cette petite rétrospective, nous ne pouvons pas cependant  reprendre tous ces moments.

A l’arrivée à Aman, notre collègue Directeur de l’aéroport, qui est exploité par  Aéroports de Paris,  nous a accueillis avec beaucoup de sympathie, c’était une belle entrée en matière !

Amman, la capitale, est  une très vieille cité où  domine  le temple d’Hercule, avec à ses côtés,  les restes d’un palais Omeyyade, d’une cathédrale et d’une mosquée.  Dans la ville basse nous avons vu le théâtre, un édifice clé des villes romaines comme on l’a vu aussi à Djérash et à Pétra.

A Amman nous avons visité la grande Mosquée dédiée au premier roi Hachèmite Abdallah. Ce fut une heureuse occasion  pour écouter nos collègues musulmans nous commenter ce qui est à l’intérieur d’une mosquée et ce qui s’y  vit ;  selon les mots de notre collègue Hazem, la mosquée  est « un oasis, un lieu de convergence, où l’on fait la prière, mais aussi la fête, car c’est un outil social par delà  la prière ».

Prenant la route de l’est en direction de la Syrie…, nous avons fait halte dans trois forteresses, les fameux châteaux du désert (Azraq, Amra et Kharana) où les califes  de Damas venaient passer, à l’écart,  d’agréables moments sur des lieux encore dans la verdure à l’époque. Dimanche soir ceux qui le souhaitaient purent  participer à la messe dans la paroisse de Notre Dame de Nazareth dans la banlieue d’Amman.

En montant vers le nord d’Amman la visite (qui fut une vraie découverte pour cette ville  que l’on appelle « la Pompéi du Moyen Orient » !) de  Djérash (l’antique Gérasa de la Décapole) a été pour nous l’occasion d’une très intéressante leçon d’histoire. Nous avons notamment admiré l’hyppodrome, le théâtre…après avoir franchi  l’Arc de triomphe de l’empereur Adrien (129 après JC), «  Rome toujours Rome ! ». Le visiteur est ébloui par  le temple de Zeus et  le temple d’Artémis, (« la Grèce toujours la Grèce ! »), qui dominent ce site gigantesque encore insuffisamment fouillé.  On y « sent » la présence d’une population cosmopolite   frottant  les  roues de  ses chars sur  les dalles des longues rues  …pour vaquer à ses affaires commerciales autour des magnifiques colonnes du  forum , ou  montant   « religieusement »  les  amples escaliers qui mènent aux temples…

Ici comme dans d’autres cités, les chrétiens , notamment du temps du  grand empereur Justinien, de Byzance,  construisirent  église sur église (certains historiens parlent de vingt trois églises à Djérash). Fort heureusement de magnifiques mosaïques sont  encore visibles dans les églises de saint Côme et saint Damien, saint Georges et saint Jean Baptiste.

Nous avons retrouvé de si  belles mosaïques,  fraîches de coloris et  remplies de symboles vivants, à plusieurs reprises pendant le voyage, comme dans la ville de Madaba ou au monastère  franciscain sur le Mont Nébo.

A l’ouest du pays, à Madaba, ville encore largement composée de chrétiens, nous avons longuement contemplé et scruté la fameuse mosaïque du 6ème siècle à l’église saint- Georges, qui représente  une carte de la Terre Sainte et des environs.  La mosaïque donne une large place  à  Jérusalem traditionnellement place dominante à l’est et à l’ouest du Jourdain durant des siècles. Le passage dans cette église grecque orthodoxe fut  un moment de respiration ! Ce fut l’occasion de se souvenir que Byzance eut un  âge d’or pour la chrétienté orientale au 6ème  siècle avec l’empereur Justinien et son épouse Théodora,  tous les deux très  engagés dans leur  foi !

Quelle émotion en s’arrêtant à  Al Maghtas, Béthanie, sur le Jourdain,  lieu où selon la Tradition, Jésus fut baptisé par saint Jean Baptiste ! Le site a été très bien protégé, au milieu des roseaux. Nous avons pris un temps de partage spirituel sur ce lieu si important où « tout a commencé » de sa vie publique pour Jésus de Nazareth.  Un endroit paisible où il fait bon laisser remonter à la mémoire et reposer dans le coeur la Parole évangélique.

Le bain dans la Mer Morte n’a bien sûr pas manqué, un peu de « bon vivre » dans la chaleur !

Comment  monter sur le  Mont Nébo, sans une autre émotion profonde !  L’Ecriture et la Tradition nous disent  que  Moïse y  contempla la Terre Promise, si proche, sans que le Seigneur lui permette  d’entrer lui-même sur ce lieu de la Promesse, malgré son désir. Notre collègue rabbin Moshé nous expliqua que, s’il n’y avait pas de lieu de tombe de Moïse c’était pour  éviter  d’en faire un lieu d’idolâtrie. Ici encore un partage spirituel très fort eu lieu dans le groupe à l’initiative des aumôniers, faisant suite à une passionnante intervention de Moshé sur le Judaïsme. Le Mont Nébo est un endroit étonnant sur lequel est planté depuis des siècles un petit monastère franciscain rempli de fresques superbes. L’attention est retenue sur cette colline qui surmonte toute la vallée du Jourdain par l’implantation du fameux  mât, figure de  celui que Dieu dit à  Moïse de réaliser  pour que les hébreux, quand ils furent  mordus par les serpents dans le désert au retour d’Egypte, le regardent et vivent.  Pour les chrétiens ce fut aussi  l’occasion de se souvenir que Jésus lui-même avait évoqué ce mât en parlant de sa propre crucifixion, signe de sa victoire sur le Mal,  le péché et la mort.

Toujours en descendant vers le sud, passant par la grandiose vallée de l’ancien Arnon (Wadi Al-Mujib) nous avons visité  la citadelle de Kerak (le « Krak de Moab »). Les citadelles de Jordanie étaient les lieux de vie et de refuge des Croisés pendant près de deux cent ans. D’immenses châteaux forts très intéressants  qui ressemblent aux nôtres comme des frères ! L’occasion importante de revenir sur  l’histoire mouvementée du séjour des chrétiens d’occident sur ces terres d’Orient.

Nous étions pressés de découvrir la cité la plus connue de cette grande société  des Nabatéens, dont l’histoire s’étend d’environ moins 300 à 100 après JC. Comme à son habitude notre cher Hazem nous a introduit avec précision et ampleur dans ce  monde encore  un peu mystérieux  des Nabatéens (qui connait les rois Arétas I,II ou III ?). Plusieurs jours seraient nécessaires pour avoir  le temps de contempler  et  de comprendre les vestiges des énormes architectures construites dans le grès de cette cité encaissée au bout de son défilé d’entrée si étonnant. Terre autrefois très bien aménagée et  florissante commercialement. Les caravanes y passaient nécessairement en route vers Damas, l’’Arabie ou l’Egypte. Le christianisme y a aussi été présent sous la période byzantine y laissant églises et mosaïques.

La cité demeura cachée pendant des siècles, comme close à l’intérieur des collines et seulement ouverte par son long chemin d’accès (le Sic)  où affleurent sur les hautes parois du défilé d’accès de petites sculptures religieuses mystérieuses (béthels), à l’effigie du dieu local Duchara.

Quelques uns d’’entre nous montèrent au Mont Aaron avec notre collègue Moshé pour avoir un temps de prière très fort dans le petit sanctuaire bâti à l’endroit où est mort le frère de  Moïse.

Les très nombreux temples, mausolées et  tombeaux aux immenses façades sculptées dans la roche laissent imaginer la puissance de cette antique société, comme le montre aussi la cité voisine nabatéenne de la « Petite Pétra ». On y voit les salles de banquet où les fidèles venaient pour un repas en hommage aux âmes des défunts. Un carrefour du monde ! Encore à fouiller pour y trouver de nouveaux trésors.  

Hélas, une  soudaine tempête de sable nous a bien  malheureusement empêchés de pénétrer dans le désert si beau  du Wadi Rum. Nous avons dû remonter sur Aman par la route tracée comme une flèche dans le désert entre Aqaba et Aman.

Nous rendons grâce à Dieu qui a épargné aux trente cinq personnes du groupe d’être touchés par le coronavirus, alors que l’épidémie se répandait fortement en France dans cette période. Tous les matins, l’un des aumôniers proposait une petite méditation-prière pour confier la journée à Dieu. Ce fut un des liens mystérieux mais certains de notre bonne entente et de la joie commune !

Yves-de-Brunhoff