Bibliographie de droit aérien
« Ethique et Puissance aérienne » – Florian Morilhat – Economica, novembre 2020 (105 p.)[1].
Structuré autour de trois chapitres:
1 De l’éthique de la guerre à l’éthique de la guerre aérienne ;
2 De la pertinence d’une éthique de la puissance aérienne ;
3 Vers une éthique de l’aviateur
Cet ouvrage relativement court mais très dense contient une réflexion inédite sur les aspects éthiques liés à l’emploi de la puissance aérienne dans les relations internationales. Le profil atypique de l’auteur qui appartient au personnel navigant militaire [2], explique en grande partie une analyse conduite sous le prisme des sciences humaines rapportée tant à l’analyse de l’emploi de la haute technologie qui caractérise l’aéronautique militaire dans les conflits contemporains qu’aux rapports complexes entre le recours à la force et le débat qu’il suscite, tant d’un point de vue philosophique, que religieux et juridique.
Sur la base d’une citation du philosophe Paul Ricoeur (1913-2005) pour qui « la morale se distingue de l’éthique en amont, la source de la motivation morale, et des éthiques en aval, les éthiques appliquées dans les contextes » (p.7), Florian Morilhat rappelle que le respect du droit international – entendu ici comme le droit international humanitaire et le droit des conflits armés – constitue la première règle de l’éthique de la guerre (p.15) en même temps qu’un rappel de la théorie de la guerre juste issue de la tradition judéo-chrétienne », d’où cette étroite imbrication entre l’éthique et le droit (que l’auteur définit comme étant « la régulation des comportements par la loi »). Ces considérations prennent une résonance particulière dès qu’il s’agit de la guerre aérienne (Air Power), dont la létalité est redoutable et l’efficacité stratégique sans cesse démontrée.
L’éthique liée à l’emploi de de l’arme aérienne est d’autant plus essentielle que cette dernière dispose de la faveur des décideurs politiques (p.21) pour qui elle est bien souvent, de par sa rapidité et sa précision qui permettent d’agir ou de réagir quasi instantanément à longue distance une forme de diplomatie coercitive pour les démocraties, et un outil privilégié dans l’arsenal des dictatures. Au niveau de la communauté internationale prise dans son ensemble, l’article 45 de la Charte des Nations Unies qui consacre la notion de forces aériennes mises au service d’une action coercitive internationale, a été utilisé pour légitimer – et non sans lien avec la notion de guerre juste – les campagnes aériennes de la guerre du Golfe ou des Balkans dans les années 1990 ainsi que la lutte contre Al Qaïda et le pseudo-Etat islamique en Asie centrale et au Levant. Des interrogations d’ordre à la fois juridique et éthique se posent aujourd’hui avec l’emploi des drones sur le champ de bataille aéro-terrestre depuis le 11 septembre 2001. Licites en droit international, les aéronefs de combat sans équipage à bord (Unmanned Combat Air Vehicle ou UCAV) sont considérés comme acceptables d’un point de vue éthique, dès lors que leur usage s’inscrit dans le respect des grands principes du droit international humanitaire (distinction ou discrimination entre civils et combattants, proportionnalité…) et à condition de ne pas constituer un instrument de représailles, notion proscrite par l’éthique comme le droit (p.37). Les aspects éthiques de la puissance aérienne sont également illustrés par les dégâts parfois irréversibles commis contre l’environnement qui prennent une résonance particulière en ce début du 21ème siècle.
La troisième partie de l’ouvrage traite de l’éthique proprement dite de l’aviateur, laquelle renvoie à la place de l’homme dans la guerre dans un environnement – la troisième dimension – où la distance entre l’adversaire sur le champ de bataille et les « servants de la puissance aérienne » est à priori plus importante que dans les autres armées. Si tous les aviateurs ne sont pas pilotes (ou personnel navigant), tous exercent un métier militaire fortement imprégné des emplois les plus qualifiés du monde civil, tout en étant engagés sur les théâtres d’opérations (y compris les équipages au sol de drones pour ce qui concerne l’armée de l’air française). Toutefois, force est de constater que l’individualisation du rapport à l’acte de guerre qui caractérise les aviateurs n’est pas synonyme de déresponsabilisation. Bien au contraire, la chaîne des opérations aériennes s’inscrit dans un processus de décision qui, de l’ordre de l’autorité politique à l’ouverture du feu depuis un aéronef de combat quel qu’il soit, est encadrée par les règles d’engagement (Rules of Engagement, ROE). Celles-ci sont définies par le haut commandement qui s’appuie dorénavant systématiquement sur l’analyse des conseillers juridiques chargés de veiller au respect des grands principes du droit international des Conventions de Genève et de La Haye. Quant aux équipages des aéronefs de combat qui constituent le bras armé de la puissance aérienne, ils contribuent au même niveau de responsabilité que les combattants au sol ou en mer à la défense de ce droit pour autant que les missions qu’ils exécutent se rattachent au droit et à l’éthique de la guerre.
Pascal M. Dupont.
[1] Préface du général d’armée François Lecointre, chef d’état-major des armées
[2] Pilote d’hélicoptère de l’armée de l’air et de l’espace, le lieutenant-colonel Florian Morilhat est diplômé de l’Institut d’Etudes politiques (IEP) de Paris et enseignant en éthique de la décision à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO).